Du haut de mes 51 ans, de mes cheveux gris, de mon expérience longue dans certains domaines et toute récente dans d’autres, je me permets aujourd’hui d’aborder un sujet un peu touchy dans le secteur de l’accompagnement.

Si je le fais, c’est parce que j’accueille – de plus en plus souvent – des personnes blessées par un accompagnement mal ajusté. Parce que je crois profondément que ces métiers sont précieux, mais aussi fragiles : ils exigent du discernement, du travail sur soi, une posture intérieure juste… et pas seulement un bon storytelling sur Instagram !

Le biais Dunning-Kruger, c’est quoi exactement ?

Décrit en 1999 par les psychologues David Dunning et Justin Kruger, ce biais cognitif désigne un paradoxe bien connu : les personnes les moins compétentes dans un domaine tendent à surestimer leurs capacités, tandis que les plus expérimenté·es ont souvent tendance à douter de leur savoir (Dunning & Kruger, 1999).

Pourquoi ? Parce que comprendre un sujet en profondeur, c’est aussi en percevoir les limites, les complexités, les paradoxes. Tandis qu’au début, on ne sait tout simplement pas ce qu’on ne sait pas.

Ce phénomène est souvent représenté par une courbe : un pic de confiance au début de l’apprentissage (« la montagne de la stupidité »), suivi d’un effondrement dans la “vallée de l’humilité”, puis d’une remontée progressive vers une confiance plus enracinée.

Plus je sais, plus je sais que je ne sais rien. — Attribué à Socrate

Ce paradoxe se retrouve partout, dans tous les métiers, et notamment ceux qui m’intéressent : coaching, thérapies brèves, musique, équicoaching, art-thérapie, enseignement, pratiques corporelles ou énergétiques… Les débutant·es s’enflamment (et c’est humain !), pendant que les personnes expérimentées nuancent, doutent, affinent.

Le problème n’est pas de débuter. Le problème est de se croire arrivé·e dès le départ.

Or, la fin d’une formation est souvent un nouveau début. Et, par définition, on revient alors à une posture de débutant·e.

Réseaux sociaux et illusion d’expertise

Ce biais est amplifié aujourd’hui par les réseaux sociaux, qui permettent à des personnes très habiles en communication digitale – néanmoins parfois fraîchement formées – de se présenter comme expert·es.

Leur force: le message. Mais pas toujours la maturité du métier. Et ce, dans un domaine – l’accompagnement de l’humain – qui demande bien plus que des slogans bien tournés : il demande une présence intérieure, une capacité d’écoute profonde, un accordage constant entre ce que l’on dit, ce que l’on pense et ce que l’on incarne. Autrement dit, de la congruence.

Pendant ce temps, des professionnel·les chevronné·es, parfois moins à l’aise avec les codes numériques ou moins enclins à se mettre en avant, restent injustement invisibles. Et parfois, tout simplement, ils·elles ne veulent pas « jouer le jeu de l’algorithme » : poster régulièrement, simplifier un propos complexe en trois lignes, produire du contenu calibré… Cela va à l’encontre de leur rythme, de leur posture, ou même de leurs valeurs.

Et soyons honnêtes : parmi les influenceur·euses qui parlent d’émotions, de conscience, de relations humaines… combien ont les cheveux gris ? J’ose même poser cette question particulièrement concernant les femmes, au risque de lancer un autre débat.

Humilité et confiance : les deux piliers de l’accompagnement

Ce que nous rappelle l’effet Dunning-Kruger, c’est que l’humilité est essentielle quand on débute – elle garde ouvert·e, curieux·se, disponible pour apprendre.

Et que la confiance devient tout aussi indispensable quand l’expérience est bien là – pour oser transmettre, se positionner, lever la voix dans un monde parfois saturé de bruit.

Et surtout, aucune parole d’accompagnement ne peut sonner juste si elle n’est pas accordée. Accordée à la dynamique posturale corporelle, à l’état émotionnel du moment, à la pensée lucide, au cadre éthique.

Un·e bon·ne accompagnant·e ne parle pas seulement avec des mots. Il·elle parle avec sa voix, son silence, sa manière d’être là.

Et tout cela se travaille. Pas en dix vidéos, mais en présence, en introspection, en supervision, en engagement dans la durée.

Pour les personnes qui cherchent un·e accompagnant·e : comment faire un choix éclairé ?

Parce qu’il n’existe pas (encore) de régulation uniforme dans les métiers susnommés, voici quelques repères concrets pour choisir un·e accompagnant·e en conscience :

  • La formation : privilégier l’accompagnant·e qui a suivi des formations longues, exigeantes, avec de la pratique supervisée. Se méfier des titres obtenus en quelques heures sur internet ou en deux week-ends.
  • La supervision : un·e accompagnant·e sérieux·se est supervisé·e régulièrement. C’est un espace de recul et d’ajustement essentiel !
  • L’accompagnement personnel : Le jour où un accompagnant croit qu’il n’a plus besoin d’être accompagné, c’est qu’il se prend pour Dieu… et c’est à ce moment-là qu’il devient dangereux. Martine Haddad, psychothérapeute (une de mes fantastiques superviseuses 🙏🏼❤️)

    Et c’est bien vrai. Le “gouroutisme” pend au nez des accompagnant.es d’humain, tout comme les phénomènes de transfert et contre-transfert. Se faire accompagner ET superviser est un must permettant, si vous me permettez cette métaphore, non seulement de bien connaître l’état de nos propres “casseroles” mais aussi de ne pas mélanger celles-ci avec celles des personnes que nous accompagnons !

  • Les recommandations : le bouche-à-oreille, les retours d’expérience sincères et variés restent un indicateur solide. Tout en gardant à l’esprit que nous sommes tous·tes uniques et différent·es et que si une personne me convient, elle peut ne pas convenir à une autre.

  • L’honnêteté sur l’expérience : un·e accompagnant·e débutant·e qui nomme qu’il·elle débute inspire davantage confiance qu’un·e autre qui surjoue l’expertise.

En guise de remerciements…

Merci à toutes celles et ceux qui, au fil des années, ont été mes « cobayes » conscient·es, à chaque étape d’apprentissage.

Merci à celles et ceux qui ont accueilli mes maladresses avec bienveillance et patience. Et qui m’ont donné (et me donnent encore) les feedbacks précieux qui m’ont permis (me permettent) de grandir.

« C’est en se plantant qu’on fait ses racines », a dit (je crois) Célestin Freinet.

Et j’ajouterais : à condition qu’on en tire des apprentissages, qu’on continue de creuser, et qu’on ne s’improvise pas jardinier·ère des autres trop tôt.