J’ai souvent la demande directe ou indirecte, particulièrement en art-thérapie par la voix, d’aider la personne à « prendre sa place ». Je constate que c’est essentiellement une demande féminine.
Il semblerait que cela soit structurellement lié au patriarcat dans lequel nage encore notre société actuellement. L’homme, pour différentes raisons très bien exposées dans différents ouvrages sur le sujet, a mis la femme au second plan au sein de la famille et dans la société au sens large. Ainsi, une inégalité est/était en place et entretenue par tout un chacun, y compris les femmes qui, dans leur rôle de mère, transmett(ai)ent à leurs filles et fils les comportements à avoir dans leur genre et face à l’autre genre.
Actuellement, les choses bougent. Si pendant de nombreuses années, l’entrée de la femme dans la vie professionnelle à l’extérieur du foyer n’a pas été réellement compensée par une entrée de l’homme dans les tâches du foyer, cela se met tout doucement en place dans la génération des 30 à 50 ans d’aujourd’hui. Ce sont ces personnes-là qui ont parfois du mal à prendre leur place. Elles y arrivent souvent dans l’un ou l’autre environnement dans lequel elles évoluent mais pas partout, ou pas face à des personnes très ‘masculines’ ou alors, en ayant l’impression de ‘se contorsionner’.
Et parallèlement, on peut constater que les enfants de ces 30 à 50 ans eux, communiquent clairement qu’ils ne veulent pas inverser la situation et reléguer l’homme au second plan mais bien que nous soyons tous sur le même plan, en respectant nos différences et en optimisant l’utilisation de nos complémentarités.
Cette difficulté à ‘prendre sa place’ est également fort présente chez les personnes racisées. Et j’observe dans mes humbles pratiques et environnements la même tendance que décrite ci-dessus en fonction des âges.
En découvrant les histoires de vie des accompagné.e.s venant avec la demande ‘je voudrais arriver à prendre ma place’, je constate que, dans leur singularité à tou.te.s, ils.elles ont souvent eu des difficultés relationnelles posant la question de « place » dans leur enfance ou jeune adolescence.
Place dans la fratrie. Place dans l’absence de fratrie, seul enfant face aux parents. Place dans la famille face à un parent qui, de manière récurrente, prend une posture d’enfant. Pour les femmes, place en tant que fille dans un milieu à discrimination de genre. Place ensuite face aux hommes, dans la vie privée ou dans la vie professionnelle. Place dans la profession, qui n’est pas celle que les parents ont voulue. Place dans une équipe, face à un.e employeur.euse ou des collègues. Place face à un.e harceleur.euse à l’école ou plus tard, au travail. Place dans un corps difficilement apprécié. Place face aux autres (femmes) qui n’ont pas de meilleures qualifications que moi mais répondent physiquement davantage aux standards de beauté de l’époque ou connaissent davantage de personnes influentes. Place dans la vie, place dans ma vie…
A travers cette place que je n’ose pas prendre ou que je ne parviens pas à prendre, ne se cache-t-il pas fondamentalement une en-vie, un besoin de vivre plus pleinement et de pouvoir l’exprimer avec (et non contre) les autres ?
Cette question de place est intimement liée aussi à ce qui est appelé le ‘syndrôme de l’imposteur.euse’. Se demander constamment ‘suis-je légitime pour faire/dire/communiquer ceci ou cela ?’ ; ne pas vouloir être au centre de l’attention, questionner non-stop l’intérêt de se ‘mettre en avant’,… Si nous ressentons tou.te.s au moins une fois dans notre vie ce syndrôme, cela devient problématique pour la personne qui l’éprouve constamment ou de façon (très) récurrente.
Plusieurs approches proposent d’accompagner les individus à trouver et prendre leur place dans le monde et/ou à faire face à ce syndrôme.
Dans ma pratique, -par exemple- j’invite
- à trouver la phrase la plus juste à ce moment-là pour la personne. A d’abord l’écrire, la dire à voix haute, la corriger au besoin jusqu’à ce qu’elle ‘sonne juste’.
- la personne à se mettre debout. A redire la phrase. Je lui propose de la dire en visitant différentes émotions, parfois différents ‘personnages’ (sans tomber dans la caricature). Parfois, on modifie encore un peu la phrase.
- à dire sa phrase, la déclamer en bougeant, en prenant toute la place dans la pièce, en remplissant les espaces vides sur la ‘scène’ que nous créons. Place physique, place sonore et, petit à petit, place ‘psychique’, celle que la personne prends par sa simple présence, aussi dans le silence.
Le travail du corps et de la voix, le jeu des mots permet d’être plus présent, en soi et avec l’autre. Et nul besoin de s’imposer, juste de se poser, à nouveau en étant en posture d’écoute vivante et avec une voix congruente. La personne ne cherche plus à prendre sa place mais à l’accueillir tout en offrant à l’autre une place au même niveau, d’humain à humain. C’est des moments très beaux, très touchants pour moi qui accompagne à ce moment-là.
Et en même temps, c’est une exploration que vous pouvez tenter seul.e, chez vous. Je vous y encourage !